mercredi 16 février 2011

James Blake - Evangile selon Saint J.


J'ai longtemps attendu le messie. Le messie musical, entendons-nous. Quelqu'un capable de révéler une vraie flamme, une foi intense et brulante envers l'avenir de la musique dans ce bas monde. Qui puisse rappeler que les bruits, les sons, en un mot la musique, n'est pas seulement un divertissement, c'est un besoin.
Tristesse du sourd qui n'aura donc jamais la chance de faire vibrer ses tympans au son du génie de James Blake. Cette Révélation est descendue du ciel la semaine dernière, a béni le sol terrestre de son testament en 11 chapitres, et s'est envolé vers d'autres cieux.

Album trop rapidement estampillé dubstep, il présente pourtant une trame et un style beaucoup plus complexes. Au-delà d'une prédominance de sub-basses et de beats implacablement posés, l'enfant prodige joue sur les sons électroniques, comme il pourrait construire un territoire avec un jeu de Lego dépareillés. Mais James Blake a apporté une véritable douceur à son univers, en déposant sa voix poignante et délicate (et d'une maîtrise assez exceptionnelle) de vieux crooner sur cette base musicale extrêmement épurée. 

En ouverture, Unluck file à toute vitesse mais parvient quand même à laisser le goût de l'auto-tune sur le palais. Mais attention, pas de l'auto-tune précuit et décongelé pour en faire une bouillie informe (je vous laisse trouver des exemples par vous-même, ils ne sont malheureusement pas rares). Blake préfère disperser ses tentatives électroniques, ici avec une véritable défragmentation du rythme de ce premier morceau, jonglant avec une aisance folle entre binaire et ternaire sur la batterie. Cependant, restez sur vos gardes, The Wilhelm Scream vous fera sans nul doute frissonner, non pas d'horreur mais de ravissement. On ne peut que constater l'intelligence de la composition, notamment à travers la mélodie qui suit les paroles, qui descend inexorablement lorsque Blake se sent tomber ("All that I know is / I'm falling, falling, falling, falling"), pour atterrir sur le sol d'un final vrombissant.




Une délicate plainte jaillit, timidement déposée sur un silence glacé. La confession tient en une phrase, ("My brother and my sister don't speak to me, but I don't blame them") répétée inlassablement sous forme de canon (les voix s'ajoutent une à une). James nous a prévenu : I Never Learnt To Share. N'attendez donc pas plus de révélations dans le morceau, si ce n'est un pur émerveillement et une fin qui mise encore sur des basses extrêmement profondes. Soudain, magnificence de cette voix auto-tunée, qui résonne dans le silence de nouveau imposé, telle un vieil orgue chuchotant du fond de sa chapelle. Lindisfarne, séparé en deux parties, envoûte ainsi son auditoire. Sans doute pour se préparer à la tempête Limit To Your Love, cover extrêmement bien réussi (voire même meilleur que l'original) de la chanson du même nom autrefois fredonnée par Feist dans The Reminder.

La fin de l'album repose sur des compositions majestueusement alambiquées autant qu'épurées. Destructuration du rythme encore, mais cette fois destinée au piano de Give Me My Month, suivi de près par To Care (Like You), qui laisse planer une ambiance particulièrement indéfinissable. Légère surexploitation de l'auto-tune à dénoter sur Why don't you call me, morceau pourtant extrêmement intéressant par son effet de découpage/collage de la mélodie, et I Mind, dont les deux mots suffiront à construire toute la mélodie Pieux requiem ou sainte berceuse, adieux tout en douceur de Measurements, qui joue à la fois sur le gospel, la soul, quelques notes jazzy, en abandonnant les beats et autres effets pour revenir à une parfaite pureté musicale, une harmonie impeccable,  dans un échange divin entre basse et voix.


Ne cherchez plus l'absolution, James Blake vous offre un coin de paradis en 38 minutes chrono. On m'a d'ailleurs récemment expliqué, au détour d'une conversation, l'effet apaisant des basses sur l'individu. Pari largement gagné, le corps vibre autant que l'âme.
Et je ne saurais encore insister sur le génie de cet album (d'ailleurs acclamé par la presse) sans passer pour une hystérique notoire. Je me contenterais donc en conclusion d'affirmer qu'après tout, un fameux poète l'avait prédit :

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme, et volupté.
Charles Baudelaire


[Et je vous laisse vous ensorceler sur le clip de The Wilhelm Scream, extrêmement soigné et assez représentant du style épuré et flouté de maître Blake]



Bex, parfois un peu enflammée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire